Les pays à faible revenu sont principalement des marchés prépayés, souvent à plus de 95% voire 98%. Cela s’explique aisément par la faiblesse et l’irrégularité des revenus dans des économies où domine encore un secteur informel très dominant. Le consommateur recharge son compte très fréquemment à la fois du fait de revenus très aléatoires et de besoins de communication très variables. Ce constat est conforté par le fait que le marché des forfaits (offres accessibles par code USSD) est composé pour plus de 80 à 90% par l’achat de petites coupures (inférieures à 500 FCFA en Afrique subsaharienne).
Sur ces marchés, l’élasticité aux prix est élevée. Toute variation des prix, à la hausse ou à la baisse, se traduit par des variations de volumes consommés plus importantes. Le consommateur est extrêmement sensible à l’évolution des prix, et cette sensibilité se retrouve souvent dans l’opinion publique qui juge durement les politiques commerciales des opérateurs.
Il faut dire que la complexité des offres mises sur le marché ne facilite aucunement la perception du niveau et de l’évolution des prix. Les offres se répartissent entre des offres alimentant un compte principal, essentiellement pour la téléphonie et les messages, et des offres accessibles par commande USSD, souvent de nature mixte comprenant des minutes téléphoniques, des messages et des Mo. Certaines offres sont exprimées en prix, d’autres en quantités. Les offres se déclinent par palier ou coupure avec des discriminations tarifaires qui peuvent être importantes selon le niveau de ces coupures. A cela s’ajoutent des bonus, variables, des durées de validité très différentes (en jours, en semaines ou en mois), des avantages divers (numéro préféré, périodes avec rabais, zero rating, etc.). Et les algorithmes de décompte des consommations (dans quel ordre les consommations sont-elles décomptées si plusieurs offres ont été souscrites) sont très opaques et variables selon les opérateurs.
Dans un tel contexte, il est pratiquement impossible pour un consommateur de savoir à quel prix il paye sa minute téléphonique ou son Mo. Ce prix varie avec ses achats et ses consommations qui sont fréquemment gérés de façon quotidienne, car elles ne sont pas anticipables. Aucun consommateur n’a véritablement le choix d’optimiser ses achats et s’en remet à certaines informations (telles notamment le niveau des bonus) qui peuvent être trompeuses : l’intérêt d’un bonus dépend en effet du tarif auquel il est décompté !
Dans les enquêtes d’opinion, il est dès lors malheureusement courant de constater la colère des consommateurs vis-à-vis des opérateurs, qui sont qualifiés de voleurs, de menteurs, d’escroc… et de voir la presse s’emparer de ces sujets avec force anecdotes.
Les opérateurs portent une part de responsabilité dans cette situation. L’information fournie est souvent incomplète et mal formulée, les offres trop complexes, et inflationnistes en termes d’avantages accordés. Les bonus peuvent atteindre plusieurs centaines de % sans que soient véritablement précisées les modalités de décompte. Les régulateurs tentent d’encadrer les offres avec des résultats mitigés, les opérateurs luttant contre des restrictions à ce qu’ils nomment « l’animation » des marchés.
La régulation du climat concurrentiel a toujours été une tâche délicate, oscillant entre une autorégulation toujours difficile et suspecte et un encadrement délicat qui fait fi de certaines caractéristiques des marchés. Il faut que la concurrence puisse s’exprimer sans perdre le consommateur dans des offres illisibles.
La régulation par la data est une bonne option pour tenter d’instaurer un ordre concurrentiel constructif, en mettant à la disposition des consommateurs des informations qui leur permettent de faire des choix les plus rationnels possibles. Certains régulateurs se sont orientés vers la publication de bases de données tarifaires comparatives. Mais, les opérateurs ont vite fait de brouiller les comparaisons avec des paramètres peu compatibles entre leurs offres. Les opérateurs eux-mêmes s’engagent dans cette voie en mettant à disposition de leurs clients des algorithmes de choix de paniers de consommation sensés les assister : « dites-moi votre budget et vos besoins, et je vous fais une offre sur mesure la plus avantageuse » sans que cela puisse être véritablement vérifié.
Un pas complémentaire peut être effectué avec le calcul et la publication d’indices de prix. Un indice de prix est certes une information statistique qui ne correspondra jamais à l’évolution des prix de chaque panier spécifique d’un consommateur, mais sa publication fournit une information générale qui délimite l’évolution des prix, à condition que ces indices soient suffisamment détaillés (par grands produits, par opérateur), que leur calcul soit transparent, et qu’ils soient accompagnés d’indices de quantités et de dépenses. Ce calcul permet d’objectiver des évolutions moyennes desquelles les évolutions individuelles ne peuvent s’écarter que modérément. Il informe aussi le consommateur sur la position concurrentielle des opérateurs présents sur le marché en les obligeant à en tenir compte dans leur politique commerciale. Le régulateur malien (AMRTP) s’est engagé dans cette voie et la méthode qu’il a développée, décrite dans la note référencée ci-après, mérite d’être partagée.
Méthodologie des indices des prix des services prépayés de communication électronique mobile
Cette méthodologie est rendue possible par l’automatisation des systèmes d’information des opérateurs qui produisent en temps réel un nombre considérable d’informations. La mobilisation statistique de ces informations constitue un instrument puissant de régulation par la data, comme cela a déjà été démontré à travers les cartes de couverture des réseaux d’accès fixes et mobiles. La publication d’indices de prix forme une étape supplémentaires de régulation par la data.